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L’employeur, peut-il interdire le port du voile au travail ?

15 juin 2017

Dans deux arrêts du 14 mars 2017, la Cour de la Justice de l’Union européenne a jugé sur le port de symboles politiques, philosophiques ou religieux au travail. Il s’agit d’une affaire belge et d’une affaire française concernant un employeur qui avait interdit le port du voile au travail. Vous trouverez ci-après les détails de l’affaire belge.

Les faits

En février 2003, Madame Achbita a été engagée comme réceptionniste par l’entreprise G4S. À l’époque du recrutement de Mme Achbita, une règle non écrite au sein de G4S interdisait aux travailleurs de porter des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses sur le lieu de travail.

En avril 2006, Mme Achbita a fait savoir à son employeur qu’elle avait l’intention de porter le foulard islamique pendant les heures de travail. En réponse, la direction de G4S l’a informée que le port du foulard ne serait pas toléré car le port visible de signes politiques, philosophiques ou religieux était contraire à la neutralité à laquelle s’astreignait l’entreprise dans ses contacts avec ses clients. Fin mai 2006, le conseil d’entreprise a repris cette règle non écrite dans leur règlement de travail. Le 12 juin 2006, en raison de sa volonté persistante de porter le foulard islamique sur son lieu de travail, Mme Achbita a été licenciée.

Ensuite Mme Achbita a contesté ce licenciement devant les juridictions belges, entre autre en vue d’obtenir une indemnisation pour motif de discrimination. Cependant, le tribunal du travail et la cour du travail d’Anvers ont rejeté sa poursuite judiciaire.

Par conséquent, Mme Achbita s’est adressée, ensemble avec le Centre interfédéral pour l’égalité des chances UNIA, à la Cour de Cassation. Celle-ci a décidé de suspendre l’affaire et de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice. La question concernait le fait si l’interdiction du port du foulard islamique au travail ne représente une discrimination directe dans le cadre de la directive 2000/78/EG si la règle existante de l’employeur interdisant à tous les travailleurs de porter des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses sur le lieu de travail.

Décision de la Cour

La directive 2000/78/EG vise à (relatif au travail et à la profession) créer un cadre général pour la lutte contre la discrimination sur la base de, entre autres, religion ou conviction. Par traitement égal, il faut entendre, selon la directive, l’absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée, entre autres, sur la religion ou la conviction. Bien que la directive ne contienne pas de définition de la notion de « religion », le législateur de l’Union s’est référé à la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) ainsi qu’aux traditions constitutionnelles communes aux États membres, réaffirmées dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union.

Dès lors, la notion de religion doit être interprétée comme couvrant tant le fait d’avoir des convictions religieuses que la liberté des personnes de manifester celles-ci en public.

La Cour constate que la règle interne de G4S se réfère au port de signes visibles de convictions politiques, philosophiques ou religieuses et vise donc indifféremment toute manifestation de telles convictions.

Cette règle traite, dès lors, de manière identique tous les travailleurs de l’entreprise, en leur imposant notamment, de manière générale et indifférenciée, une neutralité vestimentaire. Il ne ressort pas des éléments du dossier dont dispose la Cour que cette règle interne a été appliquée différemment à Mme Achbita par rapport aux autres travailleurs de G4S. Par conséquent, une telle règle interne n’instaure pas de différence de traitement directement fondée sur la religion ou sur les convictions, au sens de la directive 2000/78/EG. Il est question de discrimination directe quand une personne est traitée, de manière moins favorable qu’une autre personne dans une situation comparable, sur critère de religion ou conviction, handicap, âge ou orientation sexuelle.

Toutefois, la règle interne peut former une discrimination indirecte dans le cadre de la direction 2000/78/EG, s’il est établi que l’obligation en apparence neutre qu’elle contient aboutit, en fait, à un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données, sinon si elle est justifiée  par un objectif légitime, comme l’objectif de l’employeur, notamment afficher une image de neutralité politique, philosophique et religieuse vis-à-vis de ses clients, et si les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

La politique de neutralité doit être véritablement poursuivie de manière cohérente et systématique. En outre, le juge national doit vérifier si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il eût été possible à l’entreprise de proposer à Mme Achbita un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de passer à son licenciement.

Il est donc au juge national de vérifier si la politique représente une discrimination indirecte en se basant sur les indications susmentionnées de la Cour de Justice de l’Union européenne.

Conclusion

Suite à l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne, l’interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d’une politique de neutralité cohérente et systématique d’une entreprise (dans sa relation avec les clients) qui prévoit dans l’interdiction du port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions au sens de la directive. Il est conseillable de reprendre cette politique de neutralité dans le règlement de travail.

En revanche, une telle interdiction d’une entreprise privée est susceptible de constituer une discrimination indirecte s’il est établi que l’obligation en apparence neutre qu’elle prévoit entraîne, en fait, un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données. Toutefois, une telle discrimination indirecte peut être objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique et religieuse, pourvu que les moyens de réaliser cet objectif soient appropriés et nécessaires. En plus, l’employeur est tenu de vérifier s’il ne peut pas proposer aux personnes voulant exprimer leur conviction politique, philosophique ou religieuse un poste de travail qui n’implique pas de contact visuel avec les clients.

Un employeur averti en vaut deux ; il faut agir précautionneusement pour éviter la discrimination indirecte.

 

Source: Arrêt Cour de Justice de l’Union européenne du 14 mars 2017, Affaire C-157/15, Achbita.